mardi 20 octobre 2015

Les étoiles amoureuses

Dans l'univers, beaucoup d'étoiles vivent en couple.  Elles sont deux à partager le même centre de gravité autour duquel elles tournent inlassablement.  Mais s'ils existent de vrais couples d'étoiles, il en existe aussi de faux.  Les faux couples d'étoiles ne sont liés que par un effet de perspective : des étoiles qui nous semblent proches depuis la terre peuvent en réalité être séparées par des dizaines d'années lumière.
Qu'ils soient vrais ou faux, ces couples d'étoiles ont donné aux hommes l'envie d'en faire de véritables histoires d'amour : on trouve là-haut l'équivalent des Roméo et Juliette d'ici bas !

Vega et Altaïr sont un couple très célèbre : voici donc l'histoire de la tisseuse et du bouvier, telle qu'on la racontait en Extrême-Orient il y a plus de 3000 ans.

Il fut un temps où le Ciel était habité par un empereur.  Cet Empereur du Ciel avait sept filles qui, réunies autour de leur père, illuminaient le ciel comme des étoiles. La plus jeune d'entre elles était la plus jolie.
On l'appelait « la Tisserande », car son père l’Empereur lui avait donné pour mission de tisser, de ses longues et fines mains, les nuances du temps et de broder les brocards célestes.
À l’aide de délicats pastels, elle brodait l’aube scintillante des rosées du printemps.
Elle colorait d’un pourpre éclatant les soirs d’été sous le soleil couchant.
Elle assemblait les feuilles ocres, jaunes et rouges qui virevoltaient dans les ciels d’automne.
Elle tissait les flocons immaculées des après-midi froids d'hiver;

Mais, tout là-haut dans le ciel, Jik-nyeo s’ennuyait. « Comme c’est lassant de passer ses journées à tisser ! », soupirait-elle.

"J’aimerais bien descendre sur la Terre ! s’exclama-t-elle un jour, alors qu’elle regardait, depuis le ciel, le monde qui s’étalait à ses pieds. — Mais tu sais bien que tu n’as pas le droit ! répondit sa sœur aînée, notre père nous l’a interdit !"

Mais la cadette ne voulut rien entendre et tout doucement, elle se laissa glisser le long du fil d’argent qui, habituellement, lui servait à tisser les saisons du ciel.

Quelques instants plus tard, elle se retrouva sur Terre.

Autour d’elle, elle découvrait avec enivrement l'enivrant parfum des fleurs des cerisiers,  sentit une brise légère caresser ses joues, sentit crisser sous ses pas les brindilles et les fougères.

Elle s’enfonça dans la forêt et se retrouva face à une cascade, au pied d’une petite rivière. Il faisait si chaud dans le bois, et l’eau de la cascade paraissait si fraîche, qu’elle ne put résister :  la jeune fille se déshabilla et plongea dans l’eau bleutée de la rivière.

À quelques pas de là se trouvait un jeune homme chargé de garder des buffles. Les gens de son village l’appelaient "le bouvier" car tous avaient oublié son prénom.  Il faisait chaud, ce jour-là, et le jeune homme était venu près de la rivière pour faire boire ses buffles. Soudain, il s’arrête. Non loin de lui, dans l'eau pure de la cascade, se trouve une magnifique jeune fille.
Tremblant d’émotion, il n’ose pas se montrer. Il se cache derrière un arbre et observe la nageuse.
 — Comment oserais-je approcher cette beauté ? murmure-t-il, intimidé.
— Dérobe-lui ses vêtements ! suggére un des ses buffles, le plus taquin du troupeau
— Je ne sais pas si c’est une bonne idée... Mais le jeune homme, troublé par la déesse, ne semble plus avoir toute sa tête. Il subtilise la robe de la jeune fille et retourne se cacher derrière un arbre.

Lorsque la fille de l'empereur du ciel sort de l’eau, elle ne retrouve pas ses vêtements. À la place où elle avait laissé ses habits, un buffle broutait — Buffle, as-tu vu ma robe ? demanda la Princesse du Ciel.
— C’est mon maître qui a tes vêtements !

Furieuse de l’intrépidité du jeune voleur, la Princesse du Ciel sent la colère l'envahir...  Mais, lorsqu’elle aperçoit le Bouvier, elle s’arrête net, et l’expression de son visage se radoucit. Jamais, parmi toutes les richesses merveilleuses du royaume de son père, elle n’a vu si fier jeune homme, aux traits purs et délicats. En un fragment de secondes, Jik-nyeo comprit qu’auprès de ce jeune homme, plus jamais elle ne s’ennuierait : elle a trouvé enfin la partie d’elle-même qui, jusque-là, avait manqué à son bonheur.

Après cette rencontre, tout fut simple. Les deux amants se marient et s’installent dans une modeste demeure au pied des montagnes.

Mais, depuis le départ de la Princesse du Ciel, il n’y avait plus personne pour tisser les couleurs du temps. Le ciel, désormais, restait perpétuellement immobile dans la pâleur des jours uniformes. Les heures, les mois et les saisons ne venaient plus inventer leurs coloris magiques dans le ciel.

Face à ce ciel désormais vide et incolore, l’Empereur se met en colère.  Il hurle avec fureur, et toute l’étendue du ciel tonne dans un orage d’une violence extrême.
— Qu’on me ramène ma fille à l’instant ! rugit-il

Aussitôt, un des serviteurs du Tout-Puissant se précipite sur la Terre et, sans ménagement, enlève la jeune Jik-nyeo de la douceur de son foyer.

L’Empereur du Ciel n’est pas même ému de revoir sa fille après une si longue absence. Il la fait ligoter à un nuage et lui commande de reprendre le tissage des brocards célestes. Mais plus rien n’est comme avant ; la princesse, d’une tristesse infinie, pleure tant que, sur Terre, il se met à tomber des trombes d’eau semblant annoncer un déluge immense.

De son côté, son amant éperdu est envahi par la même tristesse. Avec courage, il décide un jour de monter jusqu'au ceil.   Aux portes du ciel, il aperçoit l’Empereur tout-puissant.
— Seigneur des cieux, puis-je entrer rejoindre ma femme bien-aimée ? implore-t-il.

L’Empereur, furieux de l’audace de ce simple mortel qui ose demander asile dans son royaume céleste, ne daigne pas même répondre. Il leve le bras et, aussitôt, le ciel s’assombrit et une large et profonde rivière d’étoiles apparut aux pieds du jeune homme. Des milliers et des milliers d’étoiles bleutées jaillissent devant le Bouvier, qui ferme les yeux devant l’éclat de cette Voie lactée.

Désormais, il y avait entre le Bouvier et la Tisserande une barrière d’étoiles infranchissable qui, à jamais, condamne le mortel et la déesse à rester chacun dans leur monde. L’Empereur du Ciel croyait qu’en éloignant sa fille du Bouvier, elle se consacrerait de nouveau à ses tâches célestes. Mais il n’en est rien. Bien au contraire, la tristesse de Jik-nyeo redoubla. Elle pleure encore, et encore... tant et si bien que des torrents de larmes inondent la terre des Hommes.
L’Empereur, d’habitude si intransigeant, comprit soudain que l’amour de sa fille pour le Bouvier est aussi éternel que le firmament. Un matin de juillet, il convoque sa fille : — Jik-nyeo, ma chérie, tu dois continuer de tisser les couleurs des saisons célestes. Mais je sais désormais que l’amour qui t’unit ton mari n’a pas de limites. Je t’autorise donc à le rencontrer une fois par an, le septième jour du septième mois.

Tous les oiseaux du ciel, émus par les pleurs des amoureux, forment aussitot un gigantesque pont au-dessus de la voie lactée. D’un pas fébrile, la princesse emprunte le pont de plumes. De son côté, le Bouvier a déjà couru vers le passage Au milieu du pont, les deux amants se retrouvent. Durant un jour et une nuit, leur amour éternel arrête le temps. Durant un jour et une nuit, serrés dans les bras l’un de l’autre, ils trouvent la force d’être séparés à nouveau avec l’espoir de se retrouver une année plus tard, au septième jour du septième mois.

Si tu veux connaître toi aussi un amour aussi fidèle que celui des deux amants célestes, pense à eux le jour durant la fête des étoiles qui a lieu le septième jour du septième mois selon le calendrier lunaire. Sur une bande de papier, écris ton désir d’amour, comme un secret. Attends la nuit, puis lève les yeux au ciel. Dans la nuit étoilée, tu verras deux étoiles, Vega et Altaïr, briller très haut Peut-être au matin sentiras-tu une légère bruine salée sur ton visage. Ce sont les deux amants qui pleurent de joie de se retrouver enfin.

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