vendredi 18 janvier 2013

les deux rêveurs

Sur le thème des voyages, ce conte des "deux rêveurs".  Version inspirée de celle d'Henri Gougaud, dans "l'arbre d'amour et de sagesse" et de "la force du rêve", de Bruno de la Salle, dans "le conteur amoureux".
Cette histoire se passe pas très loin de chez nous, il n'y a pas si longtemps que cela, dans un pays grand comme un mouchoir de poche, tout près d'un rivière large comme un brin de fil.  Dans une petite maison couleur de terre ensoleillée, à la façade ornée d'un cadran solaire à moitié effacé, vivait un homme doux et tranquille, qui ne faisait pas beaucoup de bruit.  On l'appelait Murmure.

C'est un petit homme bien mal vêtu, assis sur un vieux banc de pierre usée, à l'ombre d'un figuier.

Il vit d'un petit champ de cailloux : beaucoup de travail, presque rien à manger, rien à gagner, beaucoup de dettes à payer.  Telle est la vie de Murmure.

A peine rentré de sa dure journée de labeur, à peine couché, il fait un rêve, toujours le même.  Toutes les nuits, le même rêve depuis des années.
Dans ce rêve, il y a une ville.  Une ville aux toits dorés.  Dans cette ville, il y a une rivière, plus large qu'un pré.  Sur cette rivière, il y a un pont, plus haut qu'une colline à l'horizon.  Sous une pile de ce pont, il y a un trésor.  Un trésor si important qu'un rêve ne pourrait le montrer.  Ce trésor, c'est tout ce qui manque, tout ce qu'on a eu et qu'on a oublié, tout ce qu'on pourrait avoir et qu'on n'ose plus espérer.  Et le rêve crie : "Regarde, Murmure, ce trésor est pour toi.  Dans cette ville, un trésor t'attend !  Pars, Murmure, pars !"
Et quand le rêve est terminé, Murmure ne peut plus se rendormir.
Le rêve est si différent de la réalité que tout d'un coup, il voit toute sa misère.  Alors, les yeux ouverts, il attend le jour, et quand celui-ci vient, il se remet à travailler.
Mais travailler, cela ne l'empêche pas de penser, de penser à ce trésor dont il a rêvé, de penser au travail harassant qui l'attend.  De penser que demain sera pire qu'hier.  De penser qu'un jour, il va tomber de fatigue et mourir, et qu'il n'y aura personne pour le ramasser.
Et la nuit vient.  Et Murmure doit rentrer et se coucher.
Et le rêve revient et Murmure est tout émerveillé.  Puis il se réveille, et, tourmenté, et il ne peut se rendormir.
Alors, il attend le jour, les yeux ouverts, et dès que celui-ci vient, il se remet au travail.  Mais travailler, cela ne l'empêche pas de penser, de se dire qu'un rêve, cela ne veut rien dire, que, si on l'écoute, après c'est pire, c'est comme si on était drogué, ...  Mais le rêve résonne dans ses oreilles "- Dans cette ville, un trésor t'attend !  Pars, Murmure, pars !"
Mais lui, il se dit que beaucoup sont partis avant lui.  Qu'ils le regrettent aujourd'hui.
- "Dans cette ville, il y a un trésor qui t'attend !  Regarde !  Prends !"
Et Murmure ne cesse de se demander si le rêve ressemble à la réalité.

Un jour, il ferme la porte de sa maison, et s'en va sur le chemin.

De paysan qu'il était, il devient sans pays, mendiant, chevalier de fortune ...  Regardez-le passer !

Mais dans le monde, il y a des milliers de villes, et avant de trouver la ville aux toits dorés dont il avait rêvé, le voici devenu vieux.
Et dans cette ville, il y avait des dizaines de rivières et avant de trouver la rivière dont il avait rêvé, il était devenu las.
Et sur cette rivière, il y avait des centaines de ponts, et avant de trouver celui dont il avait rêvé, il avait envie d'abandonner.
Mais le voici enfin arrivé.  Arrivé dans la ville aux toits dorés, sur la rivière plus large qu'un pré, sur le pont plus haut qu'une colline à l'horizon ...  Et sous la pile du pont, il n'y a ...
rien du tout !
... qu'un mendiant, qui lui tend la main en quête d'un croûton de pain !
De trésor, point de trace !
 
Et Murmure reste là, au milieu du pont, hébété, croyant que son rêve est terminé.

Alors notre coureur de songes, désespère.  "A quoi bon vivre, désormais ?".  Il enjambe le parapet du pont.  Le mendiant le retient par le bout du pied.  "Pourquoi veux-tu mourir, par un si beau temps ?"
L'autre, sanglotant, lui raconte tout : son rêve, son espoir de trouver un trésor, son long voyage ...  Alors, le mendiant se prend à rire,
- Voilà bien le plus grand idiot de la terre !  Un rêve !  Un rêve, ça ne veut rien dire.  Et si on l'écoute, après, c'est pire, c'est comme si on était drogué.  Moi aussi, je fais un rêve, toujours le même, tous les jours de la semaine, le même depuis des années, mais quand le rêve est terminé, je me dépêche de l'oublier pour pouvoir me rendormir
"dans ce rêve, il y a un pays grand comme un mouchoir de poche.  Dans ce rêve, il y a une rivière large comme un brin de fil.  Devant cette rivière, une maison couleur de terre ensoleillée, avec un cadran solaire à moitié effacé, il y a un vieux banc de pierre usé, et sur le banc,  à l'ombre d'un figuier, il y a un vieil homme, comme toi.  Et devant lui, il y a un trésor.  Un trésor si important que le rêve ne peut le montrer : il y a tout ce qui manque, tout ce qu'on a eu et qu'on a oublié, tout ce qu'on pourrait avoir et qu'on n'ose plus espérer, mais l'homme ne le voit pas.
Ai-je jamais songé à courir vers ce mirage ?  Non, je suis, moi, un homme raisonnable !  Je suis resté sagement sur ce pont, à mendier ma pitance.  Songe, mensonge, dit le proverbe ...  Un rêve, ça ne veut rien dire, et si on l'écoute, après c'est pire, c'est comme si on était drogué"

A ces mots, Murmure reconnait sa maison, son banc et son figuier.

Savez-vous si Murmure est rentré chez lui ?
S'il a retrouvé sa petite maison de terre battue ?
S'il s'est assis sous son vieux banc de pierre usée, à l'ombre du figuier ?

Oui, et il a regardé.  Au pied du figuier, il y avait un trésor.  C'était tout ce qu'il avait tant cherché, tout ce qui lui manquait, il y avait tout ce qu'il avait et qu'il croyait perdu.  Oui, il y avait tout ce qu'il pouvait avoir, et qu'il n'osait plus espérer.


mercredi 9 janvier 2013

Voyages ...


Deuxième veillée contée, ce samedi 19 janvier, sur le thème des "voyages" ...