vendredi 6 septembre 2013

Sortilèges et enchantements

Des cartes illustrées, un "dictionnaire à l'envers" (de rimes), une malle d'objets magiques, une tringle à vêtements remplie de déguisements de fées, de sorcier, de magicien, de chevalier, de grand-mère, ...  La maison ressemblait, depuis quelques jours, à un véritable capharnaüm !

C'est que faire inventer 8 histoires à 8 petites puces agées de 6 à 10 ans, le défi était de taille !  Mais, comme l'an passé, la magie a opéré...

Entre "Bonbon-de-terreur", la voleuse de bonbons, et cette cruelle Aliénor, voleuse de fiancés, la guerre fut terrible !  Heureusement que ce pauvre prince Barbe-à-papa en sortit indemne et put déguster son château de sucre !!!!  Ne parlons pas de ces pauvres héroïnes changées en crapaud, en petite culotte au milieu de la foule, transformées en pierres sur le bord du chemin ou enfermées dans des cages.  Il leur fallut bien de l'astuce et de l'imagination pour sortir de tous ces mauvais pas !

Enfin, heureusement, qu'à la fin, tout est bien qui finit bien (même si la reine d'Angleterre s'en fout !).
Et, nous, on s'est drôlement bien amusées !!!!










Merci à Catherine Amathéü de nous ouvrir les portes de sa petite galerie d'art vivant pour une plongée dans le monde des contes et des histoires. 

jeudi 6 juin 2013

Souvenirs, souvenirs ...

C'était un fameux pari ... reprogrammer une balade, alors que la précédente nous avait laissé un tel souvenir ...  Nous ne pouvions qu'être déçues ...
Et bien non : celle-ci était plus belle encore !!!

Toujours le miracle de ce rayon de soleil qui arrive à point nommé, un paysage magnifique, des enfants heureux et captivés, des parents qui redécouvrent, étonnés, à quel point c'est gai de se laisser emporter dans une histoire ...

Julie, une vraie pièce de théâtre à elle toute seule, sa jolie voix et ses chansons ... Marie qui nous emmène sur les chemins de la sagesse ...  Patricia qui ferait adorer les livres au plus hostile des cancres, accompagnée de sa souffleuse de bulles attitrée ... Et n'oublions pas la prestation de notre petite raconteuse en herbe, Alice, "dont la valeur n'attend pas le nombre des années"...

L'aventure continue, bien sûr, et je nous souhaite encore bien des veillées, bien des rencontres, bien des balades au pays des contes et des histoires !  Encore mille fois merci à Marie de nous ouvrir sa petite cabane enchantée, et de nous offrir ces moments dont j'avais tellement rêvé.










mercredi 8 mai 2013

Balade contée, du "Bout'en Train" à "la Poustinia"

Bloquez vos agendas !!!  Annulez tante Juliette, brossez la fancy-fair des enfants, oubliez votre cours de yoga, laissez pousser votre pelouse et prospérer vos pissenlits !!!

Le samedi 1er juin 2013, nous organisons une nouvelle (et bientôt légendaire) balade contée !

Nous partirons, à 14h30, de l'ancienne gare de Jauche (restaurant le "Bout'en Train"), et nous promènerons le long du RAVEL jusqu'à la Poustinia.  Nous ne manquerons pas de musarder en chemin, de faire halte pour écouter des contes et des histoires.  Arrivés à bon port, nous nous régalerons des friandises apportées par chacun; et nous écouterons, dans la cabane enchantée, les petits et grands raconteurs de livres, avant de regagner nos chaumières.
(pour épargner les petites jambes, une navette sera organisée afin de rapatrier les voitures vers la Poustinia)

Espérant des cieux aussi cléments, un public aussi charmant et des contes aussi palpitants que l'an passé ...

mercredi 24 avril 2013

La tache noire

Toujours sur le thème de la tolérance, un autre conte découvert dans ce magnifique recueil de contes chinois.

La jeune Perle de Lune vivait avec sa mère Zhu, une maison vaste et claire.  Le jardin était traversé d'un ruisseau enjambé de petits ponts de bois.  Au fond de ce magnifique jardin, sous un saule majestueux, se cachait un ravissant pavillon bleu.
Zhu, veuve depuis plusieurs années, était une femme autoritaire et très avare.  Elle avait compris l'avantage qu'elle pouvait tirer de la grande beauté de sa fille.
Zhu lui offrit une éducation raffinée : Perle de Lune apprit la musique, le chant, la poésie.  Bien vite, Perle de Lune devient aussi talentueuse que belle, elle savait jouer du luth, chanter d'une voix mélodieuse, servir le thé dans les règles de l'art, composer des vers délicats et mener avec élégance une conversation.

Un jour, sa mère lui annonce :
- si j'ai soigné ton éducation, et cela va à présent porter ses fruits.  Dorénavant, chaque après-midi, tu recevras des visiteurs dans le pavillon bleu.  Celui qui t'apporteras un cadeau de prix, tu le charmeras par ta musique, tu lui réciteras des poème, tu le distrairas d'une partie d'échecs, enfin, tu feras en sorte que, ravi de ce moment passé avec toi, il n'ait qu'un désir, celui de revenir !  Celui qui n'offrira qu'un présent de peu de valeur, tu te contenteras de servir le thé et écourteras la conversation.  Ainsi, nous nous enrichirons et je pourrai te choisir parmi tes admirateurs un mari fortuné !

Perle de Lune ne pouvait qu'obéir.  Cependant, elle y prend vite un vrai plaisir : elle s'amuse à séduire, le temps d'un chant ou d'un rire perlé, les hommes qui se présentent.  Elle éconduit sans ménagement ceux qui ne l'ont gratifiée que d'un cadeau ordinaire et sans intérêt.  Ses exigences de luxe grandissent de jour en jour.  Celui qui peut se vanter de passer plusieurs heures en sa compagnie est hautement considéré auprès des notables de la région, car c'est là preuve de richesse et de prospérité.  La réputation du pavillon bleu est à son apogée.  Et Zhu, la mère de Perle de Lune, voit avec satisfaction sa fortune s'accroître de jour en jour.

Par un après-midi pluvieux, se présente un jeune poète nommé Huo.  Il a aperçu dans les ruelles de la ville Perle de Lune, et en est tombé immédiatement amoureux.
Mais, s'il a du talent, il n'en est pas devenu riche pour autant !  Pendant des mois, il s'est privé de tout et a économisé de quoi acheter un modeste bracelet à Perle de Lune, qu'il vient lui offrir aujourd'hui.
Zhu, qui a tout de suite compris qu'il était sans le sou, lance un regard à sa fille pour lui signifier qu'elle ne doit pas perdre son temps avec cet indigent !

Mais les deux jeunes gens se mettent à converser si agréablement, ils sont si bien ensemble, que Perle de Lune ne voit plus le temps passer.

Zhu, impatiente, frappe plusieurs fois à la porte, afin que cesse cette conversation qui n'est que perte de temps et d'argent !  Au moment de se séparer, Perle de Lune offre au jeune homme un poème tracé de sa main.

Dans les jours qui suivent, Perle de Lune ne manifeste plus aucun entrain en recevant ses hôtes.  Tout ce qui l'amusait lui semble futile et ennuyeux.  Les notables repartent moins enchantés qu'à l'ordinaire ...
Zhu houspille sa fille : "prends garde, ma fille !  Si tu ne fais pas d'effort, la renommée du pavillon bleu va décliner, et les cadeaux se raréfier.  Il est temps que je te marie, et te trouve un bon parti !"

Dans le pavillon bleu, les jours se suivent et se ressemblent.  Perle de Lune essaie de cacher le profond ennui qui l'habite.  Un jour, ô surprise, la porte du petit salon s'ouvre et c'est Huo qui apparaît.  Comment a-t-il déjoué la vigilance de Zhu ?  Peu importe, et, dès qu'elle l'aperçoit, Perle de Lune sent la joie de vivre renaître en elle.
Mais Huo lui dit : "je sais que la poésie ne me rendra jamais riche.  Jamais je n'aurais la prétention de vous demander plus que votre amitié.  Faites-moi la grâce de m'accorder de temps à autre un de vos précieux moments, et mon coeur sera comblé"
Perle de Lune, troublée, lui répond :
- "venez me voir, j'en serai ravie !  Mais il ne faut pas que ma mère le sache. Maintenant, vite, fuyez, car j'entends le bruit de ses pas ..."

Les semaines passent, moroses.  Perle de Lune refuse tous les prétendants que sa mère lui présente.  Elle voudrait pourtant poursuivre sa vie de luxe, épouser un homme fortuné ... mais aucun ne trouve grâce à ses yeux.  Voici si longtemps qu'elle n'a plus de nouvelles de Huo.

Un après-midi de brume légère, un jeune inconnu, vêtu de soie, se présente à la porte du pavillon.  Dans ses mains, il tient un magnifique vase de jade.  Aussitôt, Zhu l'introduit dans le petit salon.
Perle de Lune, malgré l'intéressante conversation du jeune homme, se sent très mal à l'aise.  Le jeune homme ne reste pas longtemps, il se lève, salue son hôtesse avec élégance.  Mais, au moment de se retirer, il pose son pouce sur le front de la belle, et disparaît.

Intriguée, Perle de Lune se regarde dans son miroir, et elle aperçoit sur son front une minuscule tache noire.  Elle frotte, se lave, frotte encore ... mais au lieu de s'effacer, la tache devient de plus en plus visible.
D'heure en heure, la tache envahit son visage, qui devient si laid, si difforme, si grotesque, que, bientôt, on ne peut plus le regarder sans rire.

En l'espace de quelques jours, le pavillon bleu tombe à l'abandon.  Dans la ville, on se moque à présent de celle qui fut la plus belle et est devenue si laide.
Voyant ses espoirs de fortune s'évanouir, Zhu ressent à présent pour sa fille une haine implacable.  Elle enferme sa fille dans une chambre sans fenêtre, ou Perle de Lune dépérit de plus en plus ...

Huo est mis au courant de cette terrible infortune.  Le jeune homme vend son seul bien précieux, la montre que lui avait léguée son père avant de mourir.  Il demande la main de la malheureuse.  Zhu, trop heureuse de se débarrasser de sa fille devenue un fardeau, accepte.  Huo camoufle Perle de Lune sous un grand voile, et l'emmène dans sa modeste demeure.

En entrant dans la maison, où Huo a pris soin de cacher tous les miroirs, Perle de Lune se tourne vers son futur époux :
- "je te remercie de m'avoir tirée des griffes d'une mère sans coeur.  Mais je ne veux pas t'obliger à m'épouser.  Garde-moi sous ton toit, si tu le veux bien, et choisis une épouse plus belle et plus séduisante
Mais Huo répond :
- "quand j'étais pauvre et que tu étais splendide, tu m'as reçu avec bonté.  Pourquoi n'en aurais-je pas pour toi ?  Nous pouvons converser, partager de doux moments.  Tu es ma femme, et la laideur de ton visage ne reflète pas les richesses de ton âme.

La nouvelle de leur mariage se répand alentour.  Huo subit les moqueries et les quolibets de son entourage.  Mais il s'en moque, il est heureux.

L'année suivante, Huo part en voyage.  Un soir, attablé dans une auberge, il lie connaissance avec un homme assis à ses côtés.  Huo apprend que son voisin a séjourné longtemps dans la même ville que lui :
- "je me souviens bien de cette ville, dit l'homme, et de son pavillon bleu.  Son hôtesse, Perle de Lune, en faisait la renommée.  Qu'est-elle donc devenue ?"
- Elle s'est mariée, répond Huo, troublé
- avec un homme très riche, j'imagine !
- non, avec un homme qui me ressemble.  Un terrible accident a détruit sa beauté.  Sa mère était trop contente de s'en débarrasser ...
L'étranger sourit :
- avec un homme qui vous ressemble un peu ou beaucoup ?
Etonné de son insistance, Huo ne répond pas.  Alors, l'homme éclate de rire :
- Allez, je ne vais pas vous tromper plus longtemps.  Je suis le jeune homme qui a posé un doigt sur son front, entraînant sa décadence.  J'ai eu pitié de cette jeune fille, condamnée à jouer les coquettes sans jamais pouvoir devenir elle même.  J'ai terni son éclat pour qu'elle rencontre le véritable amour, le miroir de son âme et non le simple reflet de son visage.
Huo n'en revient pas :
- et ce que vous avez fait, pouvez-vous l'effacer ?
- pourquoi pas ?  Il suffirait que cet homme "qui vous ressemble" me le demande avec sincérité ...
- je suis cet homme, dit Huo.  J'aime cette femme plus que tout au monde, je l'ai épousée.  Sa laideur a été ma chance ... et malgré sa laideur, elle me comble de bonheur.  Mais elle souffre tellement ...  Si tel est votre pouvoir, rendez-lui sa beauté !
- Peu sont capables d'un amour qui ne s'arrête pas aux frontières de l'apparence... Perle de Lune méritait cela, mais sa vie l'en écartait chaque jour davantage.  Conduisez-moi près d'elle ...

Une fois dans la maison d'Huo, l'étranger demanda une bassine d'eau.  De son doigts, il écrivit des signes étranges à la surface de l'eau.
- Perle de Lune, lavez-vous avec soin.  Que chaque pore de votre peau s'imprègne de la lotion que je vous offre !

Perle de lune passe et repasse ses mains sur son visage hideux et déformé.  Peu à peu, son éclat revient et sa beauté éclate.
Une beauté nouvelle...

Perle de Lune regarde son époux, et elle rit de bonheur devant son regard émerveillé.

Heureux, ils se retournent vers leur bienfaiteur, mais il a disparu.  Qui était-il ?  Un esprit ?  Un immortel ?  un moine ou un sorcier aux pouvoirs magiques ?  Jamais ils ne l'ont revu ...

samedi 20 avril 2013

Aurore et Crépuscule


Une variation sur le thème de la Belle et de la Bête, découverte dans ce petit livre déniché en solderie, et qui regorge de trésors.  

Un conte vraiment très étrange.  Les images sont magnifiques : dégoût à l'idée d'épouser le serpent, les petites dames bienveillantes mais obéissantes, le personnage énigmatique de la chatte.  Conte étonnant, car c'est la désobéissance de l'héroïne qui assure l'heureuse fin de l'histoire ...  Ne pas obéir et écouter son cœur  passer au delà des apparences ...  Cette idée que l'on peut toujours agir avec sa conscience me parle beaucoup.
Lorsque je l'ai conté, il a suscité de vives réactions : incompréhension, indignation chez les enfants à l'idée qu'Aurore ne soit pas punie (alors que son seul "crime" est d'être la préférée de ses parents !). 
Je vais donc le retravailler, car je crois qu'il ne peut pas être perçu dans toutes ses subtilités en une seule écoute.  Les méchants seront "punis" à la fin (je vous épargne les supplices, plus atroces les uns que les autres, imaginés par les enfants pour châtier cette pauvre Aurore...).  Parce que, dans la "vraie" vie, ce n'est pas toujours le cas... Alors, rêvons que les gentils gagnent, au moins dans les histoires ...

Le roi et la reine de ce pays avaient deux filles, qu'ils avaient appelées Aurore et Crépuscule.
D'Aurore ou de Crépuscule, quelle était la plus jolie ?  Les avis étaient très partagés ...
Les parents trouvaient qu'Aurore, leur préférée, était plus belle.
Il est vrai que ceux qui pénétraient pour la première fois dans le château étaient éblouis par Aurore, ses cheveux blonds, ses yeux bleus, son teint de porcelaine.  Certes, elle dépassait en beauté sa sœur  qu'on remarquait à peine.  Mais si on passait une journée avec les deux sœurs  on s'apercevait qu'au fil du temps, on trouvait Aurore moins jolie, et Crépuscule de plus en plus agréable à regarder.
A chaque bal que donnait le roi, Aurore était très entourée au début, tandis qu'à la fin de la soirée, tous les jeunes gens se retrouvaient près de Crépuscule.
Le roi et la reine, agacés, se disaient que c'était sûrement de la sorcellerie, et que Crépuscule attirait les galants par des potions ou formules magiques.  Mais pas du tout.  Ceux qui connaissaient les deux princesses le savaient : Crépuscule était gaie et aimable, tandis qu'Aurore, frivole et capricieuse, n'était que belle.

Mais cela, les parents ne s'en rendaient pas compte.  Ils étaient seulement agacés, car ils voulaient le meilleur mariage pour leur fille Aurore, la préférée ...

Un soir, alors que le bal touchait à sa fin et qu'Aurore n'avait plus que son père pour l'inviter à danser, le roi se mit en colère.  La dernière danse finie, il dit à sa femme :
- j'ai bien réfléchi : nous devons nous débarrasser de Crepuscule.  Quand elle ne sera plus là, Aurore pourra enfin avoir le succès qu'elle mérite
- C'est vrai, dit la reine, Crépuscule empêche notre Aurore de briller.  Je suis sûre que c'est par sorcellerie.
- Si Crépuscule est une sorcière, nous devons nous en séparer !
- Vous avez raison, mon ami, c'est notre devoir de bons parents.
Et d'arguments douteux en affirmations de mauvaise foi, voilà le roi et la reine bien décidés à éliminer Crépuscule ...

Ils appelèrent la jeune fille
- Ma fille, dit le roi, votre mère et moi avons décidé que vous deviez partir immédiatement chez votre marraine pour parfaire votre éduction
- Bien, mon père, je partirai dès demain
- qui parle de demain ?  éclata le roi.  Vous partirez dès ce soir
- Mais... il fait nuit noire...
- Allons, dit la reine avec amabilité, un serviteur vous accompagnera et portera la lanterne.

Crépuscule n'osa rien dire.  Certes, un séjour chez sa marraine l'enchantait, car elle y serait choyée, bien loin des méchancetés de sa sœur et des reproches de ses parents.  Mais treverser la forêt durant la nuit la terrifiait ...
Elle enfila son manteau, emporta un panier de provisions.

La nuit était noire et terrifiante.  Partout, des arbres menaçants, des buissons inquiétants où sûrement se cachaient des âmes perdues.  Crépuscule tremblait de peur.  Heureusement, le serviteur éclairait le chemin avec une lanterne.
Mais soudain, la lanterne s'éteignit.  Un coup de vent ?  Non, il n'y avait aucun souffle.  En même temps que s'éteignait la lumière, Crépuscule entendit les pas précipités du serviteur.  Il l'abandonnait !  Repartait seul au château comme il en avait reçu l'ordre !
Crépuscule se hissa sur une branche pour se mettre à l'abri, et, tremblante de froid et de peur, elle attendit le jour.
A l'aube, elle regarda autour d'elle et ne reconnut rien.
Perdue.  Elle était perdue.
Elle ravala les larmes qui lui étranglaient la gorge, et s'enfonça dans la forêt.

Soudain, elle n'en crut pas ses yeux.  Dans le lointain, les rayons de soleil faisaient miroiter une sorte de château merveilleux, qui semblait taillé dans le cristal.
Toute heureuse, Crépuscule courut dans cette direction.  C'était à vous couper le souffle : le château était comme illuminé de l'intérieur, et diffusait une chaude lumière.

Crépuscule frappa à la grande porte.

Elle attendit un long moment, sans réponse.   Le château était-il désert ?
Elle frappa encore.  Au bout d'un moment, elle entendit le murmure de toutes petites voix.  Enfin, au bout d'un moment, le lourd battant s'ouvrit.

Crépuscule n'en crut pas ses yeux : elle voyait devant elle de toutes petites dames, pas plus hautes que le coude.  Elles avaient dû faire la courte échelle pour parvenir au loquet de la porte.
- pardonnez-nous de vous avoir fait attendre
- bonjour, dit Crépuscule, je me suis perdue dans la forêt.  Pourriez-vous me conduire chez le maître de ce château ?
Du fond de la pièce, parvint une voix douce et veloutée :
- Je suis la châtelaine de ces lieux.

Et Crépuscule s'aperçut avec étonnement que celle qui venait de parler était une chatte blanche.
- Je peux t'offrir l'hospitalité, dit la chatte, mais tant que tu seras ici, tu ne devras jamais désobéir à mes ordres.
Crépuscule ne savait où aller.  Elle réfléchit et demanda :
- je suis votre hôte, je ferai ce que vous me direz.
Mais, de peur d'avoir parlé trop vite, elle s'inquiéta :
- et quels sont ces ordres ?
- tu peux aller et venir comme bon te semble.  Mais je ne veux pas que tu t'approches de l'étang.
Cela parut facile à Crepuscule et elle accepta.

La vie au château était douce et confortable.  L'étang était loin, mais reflétait doucement les rayons du soleil. Crépuscule aurait bien voulu comprendre pourquoi on lui interdisait de s'en approcher.  Un ordre était un ordre, mais ne pas en comprendre les raisons l'ennuyait.
Elle les demanda à la chatte, qui refusa de lui répondre.

Un jour qu'elle se promenait dans le parc, Crépuscule perçut un éclat étrange sur l'étang.  Intriguée, elle s'approcha.
Elle vit un serpent blanc sortir du lac.

Pétrifiée de terreur (Crépuscule avait une peur horrible des serpents), elle le regardait s'approcher, sans plus savoir faire un geste et s'enfuir.
- N'aie pas peur, belle amie, je ne te ferai aucun mal.  Depuis si longtemps, je n'ai personne à qui parler.  Ne t'en va pas, je t'en supplie.

Un serpent qui parle !  Crépuscule, malgré le dégoût qui lui révulse les entrailles, s'approche de quelques pas.  Elle se sent comme attirée par les yeux du serpent, emplis de douceur.  Elle bredouille quelques mots, et il lui répond avec tant d'amabilité et d'intelligence qu'elle en oublie l'heure et le temps.

Quand elle s'aperçoit que le soleil se couche, elle se relève d'un bond, promet de revenir le lendemain et court vers le château.

Hélas, la chatte l'attend sur le seuil de la porte, ses yeux verts fulgurants de colère.

- Qu'on jette cette désobéissante dans un bain de lait bouillant ! crie-t-elle

Aussitôt, les petites dames se précipitent pour saisir Crépuscule et la plonger dans la marmite.

Quand Crépuscule se réveille, elle souffre de partout.  Les petites dames la soignent de leur mieux.

- Nous ne t'avons pas laissée trop longtemps dans la marmite, mais ne recommence pas, ou il t'en cuira !

Crépuscule mit 3 jours à panser ses blessures.  Elle ne cessait de penser au petit serpent, elle lui avait promis de revenir, et se désolait de ne pouvoir tenir sa promesse.

Dès qu'elle peut tenir debout, sans plus songer à la punition, elle retourne à l'étang.  Elle trouve le serpent tout triste :
- je croyais que tu m'avais oublié, dit-il
- on m'a empêchée de venir, répond simplement Crépuscule pour ne pas l'inquiéter
Et pour le consoler, elle demeure avec lui encore plus longtemps que la première fois.
- Qu'on jette immédiatement cette désobéissante dans un bain d'huile bouillante !

Huit jours après, malgré les soins des petites dames, Crépuscule ne tenait toujours pas debout.  Dans son lit de souffrance, elle pensait sans cesse au petit serpent.
Quand elle sut que la chatte blanche s'était absentée, elle se lève tout de même, se traîne jusqu'à l'étang.
Elle trouve le serpent très amaigri ...
- tu n'es pas revenue, lui dit-il, et maintenant, je vais mourir ...
- Non, cria Crépuscule, ce n'est pas ma faute, je t'assure ...
Le serpent ferme les yeux.
- Que faut-il faire pour te sauver ?
- Quelque chose d'impossible
- Quoi ?
- M'épouser
Crépuscule recula d'effroi : épouser un serpent ?  Non, elle ne le pouvait pas.  Les larmes lui montèrent aux yeux, et elle s'enfuit en courant.

Elle passa une affreuse nuit.  Sans cesse, elle voyait le serpent expirer au bord de l'étang  Dès les premières lueurs du jour, elle se précipita vers la pièce d'eau et le trouva exténué.  Déjà, ses yeux se faisaient vitreux, la mort était sur lui.
- Ne meurs pas ! cria-t-elle, je t'épouserai.
Le serpent ouvrit ses yeux fatigués, et Crépuscule, émue, y vit un amour immense.
Elle se retourne subitement : la chatte blanche était là, sa vie était finie !  Elle ferme les yeux, pensant entendre une sentence de mort.
Mais la chatte blanche la regarde sans dire un mot.  Elle se détourne et regagne le château.

Quand Crépuscule rentre au château, elle voit que tout est préparé pour le mariage.  Alors, elle revient à l'étang, prend malgré son dégoût, le serpent dans sa main et se dirige vers la chapelle.
On demande au serpent s'il veut prendre Crépuscule pour épouse, et il dit oui.
On demande à Crépuscule si elle accepte de prendre le serpent pour époux.  Elle ne peut que remuer faiblement les lèvres.  Mais en voyant les yeux angoissés du serpent fixés sur elle, elle répond "oui" dans un murmure.

Ce mots à peine prononcé, tout sembla éclater autour d'elle  Le serpent était devenu un prince magnifique, la chatte, une jolie jeune fille dans sa robe de velours rouge.

Le prince la serre dans ses bras :
- tu as été bonne et charitable.  Tu nous as sauvés de la malédiction de la sorcière

Comme Crépuscule restait toute ébahie, le prince explique :
- ma soeur était chatte blanche, et moi j'étais serpent  ... jusqu'à ce qu'une femme accepte de m'épouser, et j'ai trouvé cette femme merveilleuse.

Les yeux de Crépuscule croisent ceux du prince.  Oui, elle les reconnait.  Elle sait alors que c'était à cause de son regard qu'elle avait accepté d'épouser le serpent.

[Pour la fête de leur mariage, on invita Aurore et les parents de Crépuscule.  Quand elle vit le prince et le château de nacre, Aurore crut s'étouffer de jalousie.  Mais sa méchanceté et sa jalousie ne punirent qu'elle, car il n'est pire châtiment pour un cœur envieux que d'assister au bonheur des autres.]

Le prince et Crépuscule se marièrent, ils eurent beaucoup d'enfants et furent très heureux ...





jeudi 18 avril 2013

"Le blanc et le noir", contes sur la tolérance et la découverte de l'autre

Très beau thème que celui proposé par la commune de Ramillies, pour l'opération "je lis dans ma commune", celui de la tolérance et de la découverte de l'autre.  
Je me suis donc plongée dans les livres de contes, et voici quelles histoires m'ont murmuré "raconte-moi" ...


Contes pour les enfants de 3 à 5 ans : 

Contes pour les enfants de 5 à 10 ans :

Contes pour adolescents et adultes :







mardi 16 avril 2013

Les deux vies de Taro

Un conte japonais pour nous notre soirée contée de ce samedi, sur le thème de la mer.

"Au fond de la petite boîte,
on voit la mer
Et déjà la mer se prépare à nous raconter une histoire nouvelle ...

Le petit garçon marchait sur la plage.  Les vagues venaient chatouiller ses pieds nus.  Il portait au bout d'un long bâton un petit balluchon, un carré de tissu noué aux quatre coins.  Il y avait entassé ses trésors : une collection de coquillages, nacrés et chatoyants qu'il avait glanés tout au long de la journée.
Il portait le nom de Taro Urashima.  Son père était pêcheur, son grand-père aussi, son arrière grand-père l'avait été.  Et Taro savait que, le moment venu, il prendrait sa barque et irait lui aussi pêcher dans la grande mer bleue dont les vagues lui léchaient les orteils.
Un petit nuage de vapeur mauve montait dans le ciel.  La journée avait été belle ...

Soudain, Taro entendit des rires et des cris rauques.

Trois enfants s'agitaient au bord de l'eau.  Taro s'approche : ils venaient de capturer une petite tortue.  Terrorisée, la petite tortue avait rentré tête et pattes dans sa carapace.
- On va la tuer !
- Lui ouvrir le ventre !
- et si on la cassait à coups de caillou ?

Taro entend le choc de la pierre contre la carapace de la petite tortue, et ce bruit lui fait mal.
- Arrêtez, je vous interdis ...
Les autres se dressent, menaçants
- tu nous interdis quoi ?  Espèce de petit singe !

Taro comprend que, contre ces trois-là, il ne peut parler le langage de la force.  Il essaie le langage du coeur.
- ne lui faites pas de mal, la vie est sacrée; vous ne pouvez tuer ni faire souffrir pour le plaisir !
Les trois autres ricanent.  Déjà, le plus grand lève dans sa main droite le galet pointu.

Mais Taro connait un troisième langage :
- Attendez, je vous l'échange
et il dénoue son balluchon pour leur montrer sa collection de coquillages.

Les garnements regardent, immobiles, fascinés par les coquillages dont les couleurs changent avec les reflets des vagues et la courses des nuages.
- d'accord, elle est à toi, va-t-en avec cette horrible bestiole !
Taro s'enfuit en courant, la petite tortue au creux de sa main.  Elle ne bouge plus, et Taro remarque la blessure faite par la pierre sur le dos de la bête.  La pierre avait fait éclater un morceau d'écaille, puis glissé, laissant une longue éraflure.  On aurait dit le dessin d'une fleur.

Taro confie la petite tortue à la douceur des vagues, celle-ci sort tête et pattes, nage et disparaît sous l'eau.


Les années passent.  Taro devient pêcheur comme son père, son grand-père, son arrière grand-père.  Il n'a plus le temps de chercher des coquillages.  Il a rencontré Mikako.  Ce n'est pas la plus jolie fille du village, mais elle est sage, douce, et son sourire est si tendre que Taro a décidé de l'épouser.  Mais pour cela, il lui faut des économies.

Aussi, Taro pêche-t-il de plus en plus loin, pour attraper plus de poissons.

Un jour, il s'aventure trop loin.

Des tréfonds de l'océan, se lève la plus terrible des tempêtes.  Emporté, secoué, soulevé par des lames énormes, le bateau de Taro sombre dans les flots.  Seul, au milieu des vagues déchaînées, Taro nage, lutte ... Les vagues l'aveuglent, le fouettent, l'engloutissent, le lancent comme un pantin ... Taro résiste jusqu'au bout de ses forces ...  Comme en un rêve, il revoit une dernière fois son père, sa mère, Mikako ... il se laisse couler sous les eaux.

Soudain, il se sent soulevé.  Il se retrouve à l'abri, sur le dos d'une énorme tortue.
- Salut, l'homme, tu me reconnais ?
Peu à peu, Taro reprend sa respiration et ses esprits.  Une tortue qui parle ?  Il reconnait alors la profonde estafilade en forme de fleur.
- Merci, tortue, je te dois la vie à mon tour.  Peux-tu me ramener au rivage ?
- Laisse-moi d'abord te montrer le royaume de la mer.
- Mais, j'appartiens à la terre ...
- prends une grande goulée d'air, nous allons plonger !

Ils glissent sous les eaux.  Ils traversent les eaux scintillantes, pénètrent dans le monde de l'obscurité et du silence.
- Nous arrivons, tu peux respirer à présent.

Ils pénètrent dans une immense grotte creusée dans la nuit des profondeurs.  Taro découvre un château phosphorescent, sculpté dans la nacre.  Deux dragons de corail gardent l'entrée.  Une silhouette apparaît.
- c'est la princesse Otohimé, la fille du roi des Mers.

Jamais Taro n'a vu de femme aussi belle.  De la main elle l'invite à entrer dans sa demeure.  Le coeur du garçon se met à battre la chamade, et il tombe amoureux d'Otohimé.  Et la princesse, elle aussi, est amoureuse de ce garçon à la peau couleur de soleil.

Taro nage dans le bonheur.  Dans les bras d'Otohimé, il oublie tout.

Combien de temps dura l'amour de Taro et d'Otohimé ?  Nul ne peut le dire, car en ces lieux enchantés, il n'y a ni lune ni soleil, ni jours ni nuits, ni mois ni années.

Le temps passant, Taro se met à songer à ceux qu'il a laissé sur la terre, son père, sa mère, Mikako, à sa vie de pêcheur.
- je voudrais les revoir une seule fois, ils doivent être fous d'inquiétude, me croient noyé !
- auprès de moi, tu ne mourras pas, alors ne me quitte pas
- je reviendrai ...
- si tu pars, tu ne reviendras pas.  Mais puisque tu veux partir, emporte ce coffret.  Il contient un trésor, la chose la plus précieuse que tu puisses posséder.  Ne t'en sépare pas, et surtout ne l'ouvre jamais ! Reviens-moi vite, mon bien-aimé.

Et la tortue ramène Taro vers la terre de ses parents.

Il retrouve la plage où il jouait enfant, son village de pêcheurs.  Il court, mais plus il avance, et plus les choses lui semblent étranges : le langage, les vêtements, les maisons ont changé.  Arrivé devant la maison de ses parents, il les appelle.  Un homme et une femme lui ouvrent la porte
- qui es-tu ?  que veux-tu ?
- je veux voir mes parents !  Que faites-vous dans leur maison ?
- de qui parles-tu ?  Cette maison est celle de notre famille depuis plusieurs générations !
Et la porte se referme.

Taro parcourt toutes les rues du village, posant des questions.  Personne ne le reconnait, et il ne connait personne !  Il finit par rencontrer un vieil homme :
- Urashima, dis-tu ?  J'ai déjà vu ce nom de famille sur une tombe, une des plus vieilles du cimetière.  Mais il y a bien 300 ans qu'ils sont morts.

Ce fut pour Taro comme si son coeur s'arrêtait de battre.  Il s'enfuit en hurlant.  Pendant des jours, on le voit errer comme un fou.  Les gens lui donnent un peu de nourriture, un abri pour la nuit.  Ils rient sous cape en l'écoutant raconter ses histoires sans queue ni tête.

Taro se réfugie sur la plage.  Il s'assied sur le sable, sent au fond de sa poche le petit coffret qui lui a offert Otoshimé.  Elle a parlé d'un trésor ... Avec ce trésor, il pourra racheter la maison de ses parents, le village tout entier même,  ...

Il ouvre le coffret.  Le coffret ne contient rien.  Rien qu'un peu d'eau.  Taro reconnait dans le reflet son visage.  L'eau frissonne.  Ce n'est pas lui, c'est le visage de son père.  L'eau se ride davantage encore : le visage de son grand-père apparait, puis celui de son arrière-grand-père, ...
Taro regarde ses mains qui tremblent : elles sont sèches et maigres comme celles d'un vieillard.

Alors, il connait sa vérité.  Tous ces visages étaient le sien.  Pour lui, dont le coeur avait balancé entre la terre et la mer, c'était la fin.  La fin de son histoire.
Le souffle de sa vie s'envola doucement et se fit petit nuage mauve dans le bleu du ciel.

Au fond du coffret,
l'eau du miroir frissonne encore.
la mer immense 
berce et balance sans cesse
l'infini de ses vagues.
Et déjà la mer se prépare
à vous raconter une histoire nouvelle.
ni tout-à-fait la même, ni tout-à-fait une autre.
Toujours recommencée.

lundi 15 avril 2013

Veillée contée - "la mer"

Déjà notre troisième veillée contée, ce samedi, sur le thème de "la mer" ...




vendredi 18 janvier 2013

les deux rêveurs

Sur le thème des voyages, ce conte des "deux rêveurs".  Version inspirée de celle d'Henri Gougaud, dans "l'arbre d'amour et de sagesse" et de "la force du rêve", de Bruno de la Salle, dans "le conteur amoureux".
Cette histoire se passe pas très loin de chez nous, il n'y a pas si longtemps que cela, dans un pays grand comme un mouchoir de poche, tout près d'un rivière large comme un brin de fil.  Dans une petite maison couleur de terre ensoleillée, à la façade ornée d'un cadran solaire à moitié effacé, vivait un homme doux et tranquille, qui ne faisait pas beaucoup de bruit.  On l'appelait Murmure.

C'est un petit homme bien mal vêtu, assis sur un vieux banc de pierre usée, à l'ombre d'un figuier.

Il vit d'un petit champ de cailloux : beaucoup de travail, presque rien à manger, rien à gagner, beaucoup de dettes à payer.  Telle est la vie de Murmure.

A peine rentré de sa dure journée de labeur, à peine couché, il fait un rêve, toujours le même.  Toutes les nuits, le même rêve depuis des années.
Dans ce rêve, il y a une ville.  Une ville aux toits dorés.  Dans cette ville, il y a une rivière, plus large qu'un pré.  Sur cette rivière, il y a un pont, plus haut qu'une colline à l'horizon.  Sous une pile de ce pont, il y a un trésor.  Un trésor si important qu'un rêve ne pourrait le montrer.  Ce trésor, c'est tout ce qui manque, tout ce qu'on a eu et qu'on a oublié, tout ce qu'on pourrait avoir et qu'on n'ose plus espérer.  Et le rêve crie : "Regarde, Murmure, ce trésor est pour toi.  Dans cette ville, un trésor t'attend !  Pars, Murmure, pars !"
Et quand le rêve est terminé, Murmure ne peut plus se rendormir.
Le rêve est si différent de la réalité que tout d'un coup, il voit toute sa misère.  Alors, les yeux ouverts, il attend le jour, et quand celui-ci vient, il se remet à travailler.
Mais travailler, cela ne l'empêche pas de penser, de penser à ce trésor dont il a rêvé, de penser au travail harassant qui l'attend.  De penser que demain sera pire qu'hier.  De penser qu'un jour, il va tomber de fatigue et mourir, et qu'il n'y aura personne pour le ramasser.
Et la nuit vient.  Et Murmure doit rentrer et se coucher.
Et le rêve revient et Murmure est tout émerveillé.  Puis il se réveille, et, tourmenté, et il ne peut se rendormir.
Alors, il attend le jour, les yeux ouverts, et dès que celui-ci vient, il se remet au travail.  Mais travailler, cela ne l'empêche pas de penser, de se dire qu'un rêve, cela ne veut rien dire, que, si on l'écoute, après c'est pire, c'est comme si on était drogué, ...  Mais le rêve résonne dans ses oreilles "- Dans cette ville, un trésor t'attend !  Pars, Murmure, pars !"
Mais lui, il se dit que beaucoup sont partis avant lui.  Qu'ils le regrettent aujourd'hui.
- "Dans cette ville, il y a un trésor qui t'attend !  Regarde !  Prends !"
Et Murmure ne cesse de se demander si le rêve ressemble à la réalité.

Un jour, il ferme la porte de sa maison, et s'en va sur le chemin.

De paysan qu'il était, il devient sans pays, mendiant, chevalier de fortune ...  Regardez-le passer !

Mais dans le monde, il y a des milliers de villes, et avant de trouver la ville aux toits dorés dont il avait rêvé, le voici devenu vieux.
Et dans cette ville, il y avait des dizaines de rivières et avant de trouver la rivière dont il avait rêvé, il était devenu las.
Et sur cette rivière, il y avait des centaines de ponts, et avant de trouver celui dont il avait rêvé, il avait envie d'abandonner.
Mais le voici enfin arrivé.  Arrivé dans la ville aux toits dorés, sur la rivière plus large qu'un pré, sur le pont plus haut qu'une colline à l'horizon ...  Et sous la pile du pont, il n'y a ...
rien du tout !
... qu'un mendiant, qui lui tend la main en quête d'un croûton de pain !
De trésor, point de trace !
 
Et Murmure reste là, au milieu du pont, hébété, croyant que son rêve est terminé.

Alors notre coureur de songes, désespère.  "A quoi bon vivre, désormais ?".  Il enjambe le parapet du pont.  Le mendiant le retient par le bout du pied.  "Pourquoi veux-tu mourir, par un si beau temps ?"
L'autre, sanglotant, lui raconte tout : son rêve, son espoir de trouver un trésor, son long voyage ...  Alors, le mendiant se prend à rire,
- Voilà bien le plus grand idiot de la terre !  Un rêve !  Un rêve, ça ne veut rien dire.  Et si on l'écoute, après, c'est pire, c'est comme si on était drogué.  Moi aussi, je fais un rêve, toujours le même, tous les jours de la semaine, le même depuis des années, mais quand le rêve est terminé, je me dépêche de l'oublier pour pouvoir me rendormir
"dans ce rêve, il y a un pays grand comme un mouchoir de poche.  Dans ce rêve, il y a une rivière large comme un brin de fil.  Devant cette rivière, une maison couleur de terre ensoleillée, avec un cadran solaire à moitié effacé, il y a un vieux banc de pierre usé, et sur le banc,  à l'ombre d'un figuier, il y a un vieil homme, comme toi.  Et devant lui, il y a un trésor.  Un trésor si important que le rêve ne peut le montrer : il y a tout ce qui manque, tout ce qu'on a eu et qu'on a oublié, tout ce qu'on pourrait avoir et qu'on n'ose plus espérer, mais l'homme ne le voit pas.
Ai-je jamais songé à courir vers ce mirage ?  Non, je suis, moi, un homme raisonnable !  Je suis resté sagement sur ce pont, à mendier ma pitance.  Songe, mensonge, dit le proverbe ...  Un rêve, ça ne veut rien dire, et si on l'écoute, après c'est pire, c'est comme si on était drogué"

A ces mots, Murmure reconnait sa maison, son banc et son figuier.

Savez-vous si Murmure est rentré chez lui ?
S'il a retrouvé sa petite maison de terre battue ?
S'il s'est assis sous son vieux banc de pierre usée, à l'ombre du figuier ?

Oui, et il a regardé.  Au pied du figuier, il y avait un trésor.  C'était tout ce qu'il avait tant cherché, tout ce qui lui manquait, il y avait tout ce qu'il avait et qu'il croyait perdu.  Oui, il y avait tout ce qu'il pouvait avoir, et qu'il n'osait plus espérer.


mercredi 9 janvier 2013

Voyages ...


Deuxième veillée contée, ce samedi 19 janvier, sur le thème des "voyages" ...